reboucler les pixels du contour
l'interview

"Reboucler les pixels du contour"
Une interview de Messieurs Halgand conduite par Alban Saporos.


Alban Saporos : Les critiques butent sur des problèmes de définition avec les artistes qui emploient les nouvelles technologies. Ils ont parlé à votre sujet d'art néo-conceptuel et de surréalisme.

Messieurs Halgand : Ces deux courants nous ont certainement influencés. Comme beaucoup d'artistes contemporains, nous avons été très marqués par Marcel Duchamp. Il y a chez lui du jeu et de la provocation. Cette démarche nous convient d'autant mieux que nous laissons assez de champ à notre oeuvre pour qu'elle soit comprise et perçue différemment.

Alban Saporos : Du point de vue technique, la facilité relative, ou la vitesse semble même en contradiction avec le thème fondamental indiqué par le titre. Reste la transfiguration et peut-être justement la démonstration d'une totalité indépendante de tout systématisme.

Messieurs Halgand : Oui, il y a là des imbrications.

Alban Saporos : J'imagine que l'idée des exercices vous plaît également...

Messieurs Halgand : En fin de compte, c'est la même chose que de traverser la vie. Vous vous exercez à un niveau de conscience supérieur, quel que soit le langage que vous utilisez.

Alban Saporos : Dans la mesure où votre travail inclut du texte et de l'image, ou plutôt juxtapose des langages visuel et verbal, il ressemble à maintes oeuvres d'art conceptuel. Mais dans les années 60 et 70, l'art conceptuel se voulait dur et anti-esthétique; ou bien il adoptait une attitude politique rappelant la maxime selon laquelle "tout bon médicament a un goût infect".

Messieurs Halgand : Nous ne souhaitons pas effacer l'embrouillement mais nous nous efforçons systématiquement de le contourner. Mais la puissance de ce second facteur est inférieure à celle du précédent que nous jugeons insuffisant.

Alban Saporos : Depuis le début de votre carrière, la transparence joue un rôle essentiel dans votre oeuvre. Vous élargissez la notion d'écran en invitant le visiteur à devenir lui-même un "écran", littéralement un écran en mouvement destiné à recevoir ces projections de lumière colorée. La superposition est également une manière d'explorer la transparence.

Messieurs Halgand : Oui, il en va de même lorsque nous entrons en retard dans une salle de cinéma.

Alban Saporos : Votre oeuvre met en évidence la tension entre transparence et opacité, entre écran et appareil de projection.

Messieurs Halgand : Il est bon de connaître le mécanisme.

Alban Saporos : N'y a-t-il pas dans votre travail une certaine critique du monde contemporain incapable de résoudre ses propres difficultés ? N'y a-t-il pas surtout une certaine dimension d'utopie ?

Messieurs Halgand : Nous pensons que l'activité humaine témoigne d'une tendance naturelle à améliorer la situation sur terre. Travailler avec de nouveaux paramètres rend caducs les anciennes extravagances. Vous savez, vous utilisez une certaine forme, une touche particulière, vous les répétez assez souvent, cela devient votre style et tout le monde vous adore.

Alban Saporos : Vous ne parlez pas de Gilbert and George ou de Bruce Nauman, lesquels, par exemple, d'une certaine façon, adoptent des stratégies parallèles, mais en leur donnant du contenu.

Messieurs Halgand : Nous sommes trop généreux. Nous voulons tout donner. Le fait que nous soyons plusieurs réduit à néant toute velléité de spontanéité. Cela produit des affrontements spontanés entre égos, mais cela n'est pas artistiquement productif.

Alban Saporos : Est-ce là votre réaction à notre époque de communication en "live" avec le monde entier sans bouger, à une époque où l'on communique de plus en plus mais sans contact physique, développant cette impression d'être dans une bulle ?

Messieurs Halgand : De nos jours, nous pouvons communiquer globalement avec les gens. Dans un sens, nous sommes donc toujours seuls, mais ce n'est pas un gros problème. Nous pensons que c'est une situation normale, acceptable, sur laquelle nous pouvons agir.

Alban Saporos : Votre oeuvre se situe-t-elle dans un contexte moral ? L'intention de l'oeuvre est-elle de réagir, de quelque manière que ce soit, à un tel contexte ? Vous considérez-vous comme un artiste politique ?

Messieurs Halgand : Non, pas du tout. Mais tout problème comporte inévitablement plusieurs aspects.

Alban Saporos : Vous avez souvent développé une certaine agressivité envers votre propre travail...

Messieurs Halgand : Nous pouvons détruire une oeuvre que nous trouvons inutile ou peu claire.

Alban Saporos : Pensez-vous que le souci d'esthétisme soit un problème pour l'artiste contemporain ?

Messieurs Halgand : L'esthétisme est un problème pour tous les artistes, nous comme les autres. Quelqu'un nous a reproché un esthétisme excessif. Mais la vitalité de la situation, c'est au contraire ce qui fait la force de l'oeuvre.

Alban Saporos : Diriez-vous que vos premières oeuvres sont toujours actives, que leur écho se prolonge dans ce que vous faites aujourd'hui, et qui a également trait au problème de l'espace, privé et public, du corps, des relations entre les objets et les sens ?

Messieurs Halgand : Un détail suffit, mais répété plusieurs fois.

Alban Saporos : Est-ce que le problème des moyens financiers a joué un rôle ?

Messieurs Halgand : Cela nous a donné une méthode de travail.

Alban Saporos : Je suis d'accord, surtout parce que vous êtes resté en dehors du système des galeries pendant presque toutes les années 90 et même les années 80.

Messieurs Halgand : Nous ne nous souvenons plus de notre motivation d'alors mais, oui, nous n'avons pas été compris. Déjà dans notre travail se superposaient deux orientations conflictuelles et cela n'a pas changé.

Alban Saporos : Pensez-vous que l'élargissement du monde de l'art auquel nous assistons a un effet sur l'homme de la rue ?

Messieurs Halgand : La plupart des gens ne s'intéressent pas du tout à l'art contemporain, ils se soucient plus d'une top-model, d'un animateur de télévision que d'un artiste de génie.

Alban Saporos : Ne cherchez-vous jamais un compromis ?

Messieurs Halgand : Jamais. Nous sommes à l'aise avec la dualité. Nous avons du mal à voir les choses en blanc et noir.

Alban Saporos : Au cours de ces dernières années, beaucoup de monde se sont intéressés à vous, tant aux États-Unis que dans le reste du monde. Vous inquiétez-vous de l'impact de cet engouement sur votre travail ?

Messieurs Halgand : Nous avons connu quelques revers pendant notre existence, mais nous ne redoutons jamais d'être à court d'idées. En définitive, tout cela n'a pas beaucoup d'importance.

Alban Saporos est critique d'art et commissaire d'exposition.